Être auteur d’un premier roman : une belle leçon d’humilité

 

En ce temps des fêtes, parler d’humilité sera certainement de bon ton. Le second billet de mon blogue aborde donc ce sujet en lien avec l’écriture et la publication d’une première œuvre de fiction.

Il y a un peu plus d'un mois, le 36e Salon du livre de Montréal se déroulait à la Place Bonaventure. Mon horaire de retraité - étudiant en fin de session étant très chargé, je n'y ai fait qu'une brève apparition, le mercredi 20 novembre, pour faire la promotion de mon roman Le Livre du Pouvoir. L'an passé, par contre, alors que ce premier ouvrage de fiction venait d'être publié, j'avais fait des séances de dédicaces à tous les jours. Quelle leçon d’humilité! Ceux qui, comme moi, sont des auteurs d’un premier roman, peu ou pas connus, publiés par de petites ou de nouvelles maisons d'édition, seront certainement d'accord pour affirmer qu'il faut une bonne dose d’humilité pour faire des séances de dédicaces dans un lieu comme le Salon du Livre de Montréal, le plus gros salon du livre en Amérique, qui regroupe environ 1000 maisons d’édition, plus de 1600 auteurs et quelque chose comme 25 000 titres, si ce n’est pas plus, que viennent voir plus de 120 000 visiteurs!

Faire des séances de dédicace dans cet océan littéraire en même temps que des auteurs-vedettes comme Michel Tremblay, Katie Reich ou Bryan Perro, ou encore des chefs comme Ricardo Larrivée ou Josée di Stasio, vous révèle à quel point votre livre est une toute petite goutte d'eau parmi des tonnes d’autres! Si les visiteurs doivent attendre parfois plus de deux heures pour obtenir l’autographe d’une vedette littéraire, il vous faut pratiquement les faire trébucher pour qu'ils tournent les yeux vers l’inconnu que vous êtes et l'ouvrage tout aussi inconnu que vous proposez. Mais comme le mentionne Mylène Gilbert-Dumas dans son billet « Comment survivre au Salon du Livre de Montréal », on ne va pas au Salon du Livre pour vendre des livres, mais pour se faire voir, pour faire des rencontres, pour participer à cette grande fête de la littérature. À son premier SLM, en 2002, Mylène a vendu DEUX exemplaires du roman pour lequel elle avait pourtant gagné le Prix Robert-Cliche, quelques semaines plus tôt (http://myleneet elisabeth.blogspot.ca/2013/11/comment-survivre-au-salon-du-livre-de.html).

En fait, toute l’aventure littéraire menant à la publication d’un premier roman – une aventure qui a débuté en 1996 pour Le Livre du Pouvoir – donne aux auteurs débutants une grande leçon de modestie. L'auteur Jean-Michel Barrault a dépeint cette aventure avec brio dans son ouvrage de fiction Le Parcours du premier roman (XYZ Éditeur, 1993). Comme le protagoniste du roman de Barrault, le jeune Étienne Caradet, tout auteur débutant qui a le moindrement de l’imagination peut facilement fabuler et croire que l’ouvrage qui a germé dans son esprit va bouleverser la littérature, que les libraires vont le mettre bien en évidence dans leurs vitrines, que les chroniqueurs littéraires vont se l’arracher et en faire des critiques dithyrambiques, que les foules vont accourir aux séances de dédicaces, que les ventes vont briser des records, que les prix vont pleuvoir, bref que ce sera la gloire. Mais à part quelques exceptions, comme ce fut le cas pour l’auteur français Marc Levy, la réalité est généralement toute autre. Il faut écrire, réécrire et réécrire encore, attendre pendant des mois des réponses qui ne viennent pas, accepter de voir son manuscrit rejeté par dix, vingt, trente maisons d'édition, chercher en vain dans les librairies des exemplaires du livre qui a finalement été publié, fouiller dans les journaux ou sur internet pour voir si quelqu’un l’a remarqué, écouter les chroniqueurs littéraires ne pas dire un mot sur son livre.

Tout auteur écrit pour être lu et pour être lu, il faut être vu. Les livres doivent être vus par les lecteurs qui fréquentent les librairies et les bibliothèques pour qu’ils se vendent à plus de quelques centaines d’exemplaires1. Il faut idéalement que des chroniqueurs littéraires s’y intéressent, qu’on en parle dans les médias, qu'on publie des articles dans les revues et les journaux. Or, après les moments de grâce liés à l’acceptation du manuscrit, à la publication, au lancement et au constat que Le Livre du Pouvoir figurait bien dans les catalogues de la plupart des librairies, j’ai réalisé au cours de l’automne 2012 que ce n’est pas parce qu'un livre a été publié et qu’il est proposé aux libraires par un distributeur reconnu qu’on va nécessairement le retrouver en librairie, bien en vue sur les tablettes.

On le sait, les librairies, particulièrement les petites librairies indépendantes, ont du mal à survivre. Les libraires font donc de savants calculs lorsqu’ils sélectionnent les livres qu’ils achètent des distributeurs. La très grande majorité du temps, leurs tables les plus en vues sont réservées aux valeurs sûres, aux best-sellers, aux gros tirages, ce qui est rarement le cas pour un premier ouvrage, à moins que le dit-ouvrage soit exceptionnel, qu’il puisse se mériter un prix littéraire prestigieux, ou que l’auteur soit une personnalité connue ou une vedette de la télé. Qui plus est, les libraires ont le choix : au Québec seulement, il se publie plus de 7000 titres annuellement, nombre qui grimpe à plus de 78 000 en France. Donc, si un auteur et son éditeur sont peu ou pas connus, il est fort probable que seulement quelques copies du livre de cet auteur se retrouveront éventuellement sur les tablettes des librairies, et pas de toutes les librairies. Les copies en librairies ne seront pas très visibles et ce n’est pas la première de couverture que l’on verra, mais le dos du livre. Trois ou quatre mois après la parution, les copies invendues seront retirées des tablettes. Il y a donc très peu de chances que ce livre soit découvert fortuitement par un lecteur furetant dans une librairie à la recherche d’un livre intéressant, mais pas nécessairement en quête d’un titre en particulier.

Bien avant celle du Salon du Livre, ce fut là ma plus grande leçon d’humilité : ne pas voir ou à peu près pas d’exemplaires de mon roman sur les tablettes des librairies et cela, même dans les premiers mois suivant sa publication. C’était, et c’est toujours possible de l’obtenir, mais en le commandant. Pour ce qui est des chroniqueurs littéraires, des courriels ont été envoyés, des copies du roman expédiés à plusieurs, mais là encore, le résultat a été décevant2, ce qui confirme ce que m’a laissé entendre une chroniqueuse elle-même auteure : il y a peu de chance qu’un chroniqueur s’attarde au roman d’un auteur inconnu publié par une petite maison d’édition, même si ce roman est de qualité. L’une des raisons, c’est qu’il y a trop de risques que les lecteurs ne puissent pas le trouver en librairie si on le leur suggère ! C’est la poule et l’œuf. On ne veut pas en parler parce que le roman est inconnu et le roman reste inconnu parce qu’on n’en parle pas! Alors, comment intéresser les lecteurs potentiels? 

Le Livre du Pouvoir n’est pas moins bon parce qu'il a été publié par un petit éditeur. Le manuscrit qui a été accepté en 2010 par Jean Bergeron, des Éditions Mots en toile, est le résultat de quatre réécritures quasi-complètes depuis la première version qui a été terminée en 19983 et de plusieurs autres modifications moins importantes. Après l’acceptation du manuscrit, j’ai travaillé pendant quelques mois avec un réviseur linguistique et refait plusieurs nouvelles modifications. Je n'ai donc aucun doute que la version publiée est bien meilleure que les versions précédentes auxquelles deux autres éditeurs avaient démontré un certain intérêt, sans toutefois me faire signer de contrat d’édition. J'ai reçu d'excellents commentaires de plusieurs lecteurs (http://venus.les libraires.ca/livres/livre-pouvoir-serge-lepage-9782923 445243.html) et Claude Daigneault, un écrivain, chroniqueur et conférencier que je ne connaissais pas, en a fait une très bonne critique (http://lanoraye.42blog.com/comment List&id=1085). Évidemment, le contenu d'un roman à caractère historique ne peut pas plaire à tous, de même que ma façon d’écrire, mais je demeure convaincu que ce roman vaut la peine qu’on s’y intéresse et se compare très bien à d’autres du même genre4.

Je tiens à préciser que même si certaines périodes de la vie d’auteur sont moins exaltantes que d’autres, cela n’enlève rien au grand plaisir de coucher ses idées sur le papier, d’inventer des personnages, de voir naître un récit sorti tout droit de son imagination; cela n’enlève rien à l’immense plaisir d’ÉCRIRE. Il y a aussi le bonheur indicible de voir finalement son récit être publié, de toucher physiquement5 à ce livre pour lequel des milliers d'heures de recherche, d'écriture et de récriture ont été requises, de faire un lancement devant des parents, des collègues et des amis venus célébrer le succès : TU AS PUBLIÉ! Il y a enfin l’excitation de se retrouver dans un événement littéraire aussi prestigieux que le Salon du Livre de Montréal. Considérant que plus de 95% des manuscrits sont rejetés par les maisons d’édition, voire même jusqu’à 99% selon certains (http://www.jobboom.com/carriere/ vivre-de-son-metier-d-ecrivain/), n’est- ce pas là un résultat formidable que d’être un auteur publié?

Je continue à travailler fort pour faire connaître Le Livre du Pouvoir, même si on me dit qu’il est trop tard6. Je travaille aussi à la transformation du récit en scénario de film pour le faire connaître de façon différente et j’essaie de trouver un éditeur qui pourrait être intéressé à publier une version anglaise du roman. Enfin, je poursuis mon travail d’écriture. J’ai plusieurs projets en chantier, dont un ouvrage de vulgarisation en océanographie destinés aux jeunes, qui devrait paraître au printemps ou à l'été prochain aux Éditions Multimondes.

Vous aurez remarqué que tout au long du texte j'ai mentionné « auteur » et non pas « écrivain ». Il en est ainsi parce que je trouve que ce serait présomptueux de ma part de me qualifier d'un titre aussi noble que celui d'« écrivain » après la publication d'un seul ouvrage. Dans quelques années, lorsque j'écrirai à temps plein et que je serai riche et célèbre :-), oui j'accepterai ce titre avec plaisir.

Là-dessus, je souhaite humblement à tous et à toutes de très joyeuses fêtes et une excellente année 2014.

1.  La carrière d’écrivain ne permet pas vivre très gras au Québec. Selon l’UNEQ, le salaire médian des écrivains est seulement de 2400 $ par année et guère plus d’une vingtaine d’auteurs vivent uniquement de leur plume; un auteur québécois peut considérer comme acceptable la vente de 300 exemplaires d’un roman; à 3000 exemplaires, on parle d’un best-seller

(http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2013/11/24/001-pre carite-financiere-auteurs-quebecois-salon-du-livre.shtm).

2.  Je dois dire que je n'ai pas à me plaindre des gens du secteur où j’habite : chroniqueur littéraire, libraire et bibliothécaire ont tous et toutes été très collaboratifs et je les en remercie vivement.

3.  Entre 2004 et 2010, je n’ai pas touché au manuscrit du Livre du Pouvoir parce que, épuisé et ne croyant plus vraiment à sa publication, j’avais mis le projet de côté. Je l’ai ressorti à l’hiver 2010 suite à l’influence d’un ami qui travaillait lui-même à l’écriture d’un livre. C’est aussi grâce à cet ami que j’ai trouvé l’éditeur qui a finalement accepté de publier Le Livre du Pouvoir.

4.  Le Livre d’Hanna (People of the Book, en anglais), publié en 2008 par l’auteure d’origine australienne Geraldine Brooks, est un livre qui a beaucoup de similarités avec mon roman.

5.  Pour le vieux chnoque que je suis, rien ne sera jamais comparable à la copie papier d'un livre; l'électronique, c'est évidemment très pratique, ça permet d’avoir au bout des doigts toute l’information dont on a besoin, de transporter une bibliothèque entière en voyage, mais ça n'a pas de sensualité tactile d’un vrai livre, ça n’en a pas l’odeur, la beauté, le caractère.

6.  Avant la publication du Code Da Vinci, en 2003, les précédents romans de Dan Brown publiés depuis 1998, y compris Anges et démons (2000), ne s'étaient vendus qu'à quelques milliers d'exemplaires (moins de 10 000), ce qui correspond à quelques centaines au Québec. Ce n'est qu’après que le Code Da Vinci fut publié que la controverse et la folie médiatique firent en sorte que tous les romans browniens se vendirent comme des petits pains chauds.

 

Serge Lepage

26 novembre 2013

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